Religieuses dans la Solitude

Un monastère modèle

Un fleuron de la Réforme catholique

Rien ne prédisposait Port-Royal, monastère de femmes situé en haute vallée de Chevreuse (aujourd’hui sur la commune de Magny-les-Hameaux), à connaître un destin exceptionnel: fondée au XIIe siècle, cette abbaye cistercienne était devenue fort déréglée au XVIe siècle; la règle sévère de saint Benoît n’y était plus guère respectée. En 1602, elle a à sa tête une jeune abbesse de onze ans, Mère Angélique Arnauld, entrée en religion non par vocation, mais grâce à l’influence de son père, avocat au Parlement de Paris.

En 1609, Angélique, alors adolescente, connaît une crise spirituelle profonde dont elle sort transformée et, comme l’on disait à l’époque, « convertie ». Elle devint non seulement une religieuse exemplaire, mais une admirable « réformataire de religion », comme le dira Bérulle. Le 25 septembre de cette année, elle rétablit la clôture et interdit à sa famille l’accès à Port-Royal: cet événément est connu depuis sous le nom de « journée du « guichet », car les Arnauld ne passèrent pas la porte. Son frère aîné, Robert Arnauld d’Andilly, s’en retourna furieux: il ne savait pas que, quelque temps plus tard, sa soeur le convertirait avec toute sa famille, et qu’il serait dans le monde un des plus ardents défenseurs de la cause de Port-Royal.

Ph. de Champaigne, Mère Angélique et Mère AgnèsEn quelques années, la règle de saint Benoît (530) est rétablie dans toute sa rigueur: séparation du monde, communauté des biens, silence, abstinence de viande, habit pauvre, travail manuel, veille de nuit. Mère Angélique refuse la polyphonie trop savante et qui détourne le coeur de Dieu; elle lui préfère le plain-chant, simple et dépouillé, qui ne trouble pas l’âme. Elle refuse ainsi de laisser pénétrer dans l’abbaye l’esprit du monde, profane et souvent corrompu. Port-Royal devient un « fer de lance » de la Réforme catholique (le mot est de Jean Mesnard): rien de plus faux que de s’imaginer que le monastère fut un repaire de comploteurs jansénistes hors-la-loi; c’est une maison réformée comme il y en eut tant en cette période de ferveur catholique retrouvée.

En 1625, en raison de l’insalubrité des lieux, Mère Angélique quitta la maison des Champs et fit ouvrir un nouveau couvent, faubourg Saint-Jacques, à Paris. Une partie des religieuses revint en vallée de Chevreuse en 1648, après que des travaux ont rendu l’endroit plus habitable. Il y eut donc à partir de cette date deux maisons, « Port-Royal de Paris » et « Port-Royal des Champs ».

C’est en 1633, date à laquelle Mère Angélique prit pour directeur spirituel Saint-Cyran, que l’histoire du monastère allait se confondre avec celle, troublée et sulfureuse, de ce qu’on appellerait fort mal « jansénisme ». Pour autant, l’ampleur de la controverse religieuse et la vitalité littéraire et artistique dont Port-Royal fut le foyer ne doit pas faire oublier qu’il fut avant tout une communauté de religieuses cisterciennes vouées au silence et à la prière.

La vie quotidienne au monastère: « ora et labora »

En 1665, Mère Angélique a publié Les Constitutions du monastère de Port-Royal des Champs, où sont précisées les pratiques de la communauté.

Une journée au monastère
2h00 lever puis matines (office du matin). Repos jusqu’à 5h30
6h00 Prime, office de la première heure
8h30 Tierce, puis messe du jour
10h45 Sexte, office de la sixième heure
11h30 Dîner (à 12h les jours de jeûne)
12h45 Conférence* (la « récréation »)
14h00 Repos ou lecture (« lectio divina »)
14h30 Nones, office de la neuvième heure
16h00 Vêpres, office du soir
17h15 Collation (18h les jours de jeûne)
18h30 Complies, dernier office
20h00 Coucher

L’ensemble des offices, mis bout à bout, dure huit heures; le reste de la journée est consacré au travail, le seul moment de détente étant la conférence où l’on peut parler, échanger et rire tout en cousant. Le silence est obligatoire dans tous les lieux réguliers. Faut-il communiquer, on le fait par signes. Ecrire des lettres est soumis est soumis à la permission de la Mère.

Religieuses dans la SolitudeL’austérité est partout: nourriture, vaisselle de terre, pauvreté dans le vêtement (robe de serge, scapulaire blanc à croix rouge). Le mobilier de la cellule se réduit à une paillasse. Toute propriété personnelle est interdite, conformément au voeu de pauvreté inscrit dans la règle de saint Benoît.

A Port-Royal, silence et la pauvreté trouve leur accomplissement dans la charité: entre soeurs, envers les petites filles qu’elles éduquent, les malades et les pauvres; le monastère accueillit deux « innocentes » en 1665, « Soeur Catherine de Saint-Benoît, imbécile, Soeur Marie de la Nativité, imbécile », précisent les Constitutions…

Les travaux manuels sont obligatoires: ils tendent à se procurer des moyens de vivre sans mendier, mais aussi à parvenir à un équilibre entre le corps et l’esprit. Les religieuses confectionnent leurs vêtements et ceux des pauvres, elles fabriquent des cierges, des ornements d’Eglise, des lanternes, des reliquaires. Elles transcrivent des passages de l’Ecriture et relient des livres. En revanche, sont interdits les travaux futiles comme les images pour gens du monde, les fleurs artificielles, la broderie…

Les religieuses sont au centre de tout: ce sont elles qui ont fait graviter autour du monastère les membres de leur famille; ce sont les abbesses Arnauld qui ont attiré leur famille, comme c’est Jacqueline Pascal qui a fait venir son frère du côté de Port-Royal.