L’emprisonnement des religieuses à Port-Royal des Champs (3 juillet 1665)

Le 3 juillet 1665, l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, ordonne le regroupement des religieuses « non-signeuses » à Port-Royal des Champs. La punition va durer plus de quatre ans. Si l’incarcération de Saint-Cyran à Vincennes en 1638 avait ouvert la longue liste des amis du monastère emprisonnés, le sort des religieuses résistantes à la signature du Formulaire va être au cœur de la polémique de 1665 à 1669. Citées en exemple par tous les défenseurs de Port-Royal, elles sont une référence, un enjeu dans un conflit qui les dépasse.

Déjà le 26 août 1664, douze sœurs avaient été enlevées du couvent, exilées et mises au secret dans divers établissements religieux plus dans la ligne de l’Église et de Rome. Les autres religieuses rebelles, qu’elles soient aux Champs ou à Paris, ont été menacées, soumises à interrogatoires durant des mois, leurs confesseurs mis en fuite ou sous le coup de lettres de cachet.

En juillet 1665, la stratégie change. Il est décidé de regrouper à l’abbaye des Champs toutes celles qui refusent de signer le Formulaire, les exilées d’août 1664, les résistantes restées à Port-Royal de Paris avec celles de l’abbaye des Champs. Entre le 2 et 3 juillet 1664, un ballet de carrosses transporte les rebelles aux Champs. La vie d’internées commence. Elles sont 73 professes de chœur et 12 converses, dont 36 religieuses venues de Paris. À leur tête, l’abbesse, Madeleine de Ligny, qui, à Paris, avait tenu tête à l’archevêque en août 1664 et provoqué sa colère et son emportement, la mère du Fargis, prieure des Champs et, au premier rang des indociles, Angélique de Saint-Jean.

Le monastère est à l’isolement total, des gardes de la compagnie de Gesvres surveillent les extérieurs du cloître et empêchent toute communication. Les jardins, à l’intérieur de la clôture, sont envahis, les clés confisquées et les promenades interdites aux religieuses. Avec le temps, des assouplissements sont apportés, leur permettant de sortir dans les jardins sur autorisation mais des rondes à pied et à cheval sont effectuées pour éviter qu’elles ne parlent aux jardiniers et laïcs présents.

À Port-Royal des Champs, la fièvre des marais provoque des hécatombes. Les religieuses captives survivent, sans revenus car tous les biens et rentes ont été attribués à Port-Royal de Paris. Le plus difficile est l’isolement spirituel, avec privation de la confession, de l’eucharistie, du viatique et de la sépulture chrétienne. Péréfixe leur donne comme confesseur de grossiers personnages qui ne résistent pas face à des religieuses sûres d’elles, intelligentes et procédurières. Ainsi les religieuses placent dans les mains de celles qui meurent sans sacrements des lettres signées par toutes à titre de « commissions pour l’autre monde ». L’interdiction des sacrements ne tombant que sur les religieuses de chœur, on en voit quelques unes, comme la mère Agnès, se déguiser en sœurs converses pour pouvoir communier.

Le médecin, Jean Hamon, qui reçoit parfois l’autorisation d’assister les sœurs malades s’improvise médecin des âmes. Personnage sensible et humble, il cherche toujours les mots et les textes pour rester optimiste, faisant des interdictions un bienfait. Claude de Sainte-Marthe, confesseur des religieuses qui a été éloigné, se rend parfois en secret près des murs de l’abbaye pour parler aux religieuses assemblées de l’autre côté.

Si l’esprit de résistance perdure chez les religieuses, si les amis et amies les défendent publiquement, elles ignorent ce qui se passe au dehors, les Solitaires se cachent ou sont en exil. Les combattantes s’épuisent et peuvent se croire abandonnées.

Le salut vient de la politique et des médiateurs qui travaillent à la réconciliation entre Clément IX et Louis XIV. Le 9 août 1668, un accord intervient sur la question du Formulaire, puis le 14 février 1669, un compromis est trouvé sur le sort des religieuses de Port-Royal des Champs. C’est la fin de la réclusion. La Paix de l’Église qui commence (1669-1679) marque alors un rayonnement sans égal de Port-Royal.

Ainsi l’emprisonnement pendant presque cinq ans des religieuses contestataires est un symbole pour les Port-Royalistes. La manière dont l’événement est rapporté par les lettres, mémoires ou relations accroît son caractère spectaculaire et montre une orchestration de cette expérience. L’emprisonnement devient l’occasion de défendre la cause du monastère persécuté. La claustration imposée par le pouvoir est aussi vécue comme une expérience spirituelle, une participation à la Passion du Christ, les victimes trouvant dans les Écritures des modèles à leur malheur. Cet enfermement a eu aussi des répercussions sur la production littéraire du XVIIe siècle comme, par exemple, la métaphore de la prison ou la transfiguration poétique de la détresse de la captivité chez Racine (le chœur des jeunes Israélites prisonnières dans Esther). De ce moment aussi date la séparation officielle entre le monastère de Paris, revenu dans le giron de l’Église de France et celui des Champs que le roi n’aura de cesse de détruire dans les faits et dans les esprits.

Sources : Dictionnaire de Port-Royal, Champion, 2004 ; Port-Royal et la prison, Nolin, 2011 ; Philippe Luez, Port-Royal et le jansénisme, Des religieuses face à l’absolutisme, Belin, 2017.