Les poires

Les jardins

Mes yeux, pourrai-je bien vous croire?
Suis-je éveillé, vois-je un jardin?
N’est-ce pas quelque songe vain
Qui me place en ce lieu de gloire?

(Jean Racine, Le Paysage de Port-Royal, Ode VII)

Des jardins monastiques

En tant que monastère cistercien, le site de l’abbaye féminine de Port-Royal des Champs abritait dès le Moyen Âge différents jardins aménagés. Au même titre que les couvents bénédictins ou chartreux, les abbayes cisterciennes entretenaient au moins quatre jardins pour les besoins de la vie communautaire.

Ces jardins monastiques, enclos le plus souvent d’épais murs de pierre, bénéficiaient de toute l’attention et du savoir-faire des moines et des moniales qui y puisaient une source de labeur conforme à la règle monastique, ainsi que de précieuses denrées, aussi bien terrestres que spirituelles.

Pour les besoins du corps, officiaient principalement deux espaces cultivés: le jardin potager, ou hortus, généralement situé à proximité des cuisines; et le jardin médicinal, l’herbularius, appelé plus couramment « Jardin des Simples », qui regroupait également les plantes aromatiques et condimentaires. Ils étaient tous deux divisés en pièces régulières, délimitées par de petits monticules de terre et bordées de passages, dont l’agencement respectait une double fonction, pratique et symbolique.

Le verger, pomarius, accueillait fréquemment les moines dans leur repos éternel: nommé verger/cimetière, ou viridarium, il avait donc lui aussi son aspect utilitaire intimement lié au symbolisme religieux, évocation terrestre du salut de l’âme du défunt au paradis.

Si au cours des siècles les jardins de Port-Royal évoluèrent, ils conservèrent ces divers espaces avec toutefois un nouvel espace pour le verger, planté sur le plateau des Granges face aux Petites-Ecoles. C’est l’époque où les Solitaires, lors de leur pieuse et studieuse retraite, s’adonnaient avec bonheur au travail physique de la terre et faisaient l’éloge de la vie rustique.

Un verger à la française

Les poires

« On ne peut avoir de beaux plants sans les aimer. La nature ne donne rien d’elle-même. » (Arnauld d’Andilly)

En 1646, Robert Arnauld d’Andilly, frère aîné de la Mère Angélique Arnauld, se retire aux Granges, vaste domaine agricole complété par les Petites-Ecoles. Âgé de 57 ans, il se consacre à l’étude des textes anciens, à l’éducation de jeunes garçons et à sa passion pour la culture des arbres fruitiers en espalier, en contre-espalier et en buisson. Il expérimente « la méthode la meilleure pour avoir de beaux arbres et de bons fruits sans les contraindre contre leurs natures, fruits dont la grosseur, la saveur, et le coloris satisfont également le goût et les yeux de ceux qui les mangent et qui les regardent ». Suivant la variété, les arbres étaient répartis en fonction de l’orientation de chacun des quatre murs qui clôturaient les 60 ares du jardin composé de huit carrés plantés. Les allées étaient assez vastes pour laisser circuler les charrettes.

L’évocation actuelle permet de restituer la mémoire du lieu comme l’esprit du jardin, et de témoigner de l’arboriculture fruitière ancienne. Les travaux ont consisté à retrouver l’identité et l’originalité du jardin fruitier créé par Arnauld d’Andilly entre 1646 et 1674, en implantant des variétés et des formes fruitières de l’époque sur des tracés anciens, à partir des relevés d’époque et du traité didactique écrit par le jardinier: La Manière de cultiver les arbres fruitiers, édité en 1652 sous le pseudonyme d’abbé Legendre. (l’ouvrage a été réédité en 1993 par la Réunion des Musées Nationaux).

Autrefois jardin d’utilité, ce verger est appelé à devenir à la fois un jardin d’agrément et de curiosité pour les visiteurs; un verger école comme lieu d’apprentissage, d’échanges de savoirs et de techniques; un jardin d’expérimentation sur le comportement des variétés anciennes.

Les pommes

Au temps d’Arnauld d’Andilly, les arbres en buisson donnaient corps et verticalité aux carrés et étendues potagères, structuraient pour l’esthétique et l’ordonnance ce monde vivant et clos de murs. Ce sont des arbrisseaux au tronc très court, de 25 à 35 cm, au-dessus duquel se jettent des branches taillés en boule ronde. Ces fruitiers ne dépassaient pas la hauteur d’un homme. Leur développement se voyait limité pour préserver un bon équilibre dans l’espace du jardin potager. Le jardinier prenait alors en compte la hauteur des murs, la dimension des carrés, celle des allées.

Aux angles des allées, et toujours dans un souci d’esthétique, on trouvait de petits arbres, bas de tronc et à petit développement. C’était en général des pruniers parfaitement adaptés à cette destination. Au pied des arbres, c’était la terre nue. Il fallait apporter la nourriture par petites fourchettées pour ne pas nuire aux racines en surface. Souvent les bordures étaient constituées de fraisiers ou de plantes condimentaires, au faible système racinaire.

Les murailles étaient garnies d’espalier en forme de main ouverte: les charpentes étaient accrochées savamment aux os de jambe de mouton, disposées en quinconce et saillie pour respecter le développement naturel des branches, quelque peu contraint par le maître jardinier. La lisière de draps, la lanière de cuir ou encore l’osier et le jonc, selon le besoin, maintenaient lâchement les branches, gourmands ou brindilles, contre ces hauts supports qui garantissaient du froid et du vent le processus de fructification. « Cette façon de palisser est la plus belle de toutes, les arbres en sont mieux étendus, et couchés plus promptement et ils en font une espèce de tapisserie fort agréable » (Arnauld d’Andilly).

Une rose du verger